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Tenson entre Bertrand de Gourdon et Peire Raimon

mercredi 13 juillet 2011, par Guillaume LOISELEUR des LONGCHAMPS

La tenson est une joute publique et versifiée qui doit galvaniser le talent, l’imagination et l’éloquence des orateurs.

Ici entrent en lice, avec des qualificatifs paradoxaux qui peuvent surprendre l’auditoire, BERTRAND, seigneur et poète de Gourdon, et son rival PEIRE RAIMON, troubadour toulousain.

Mais ce genre de tenson, qui fleurissait spontanément dans les cours féodales d’Occitanie, s’achevait sous les applaudissements des convives et avec l’accolade des deux rivaux.

Cette tenson, tenso en occitan, serait la seule œuvre poétique qui nous soit parvenue de Bertrand de Gourdon.

Elle fut transcrite plusieurs fois jusqu’à la Renaissance, diffusée encore au 17e siècle, et traduite par Joseph Anglade en 1916 (XVII [N° 19 d’Adam von Bartsch]).

TOTZ TOS AFARS ES NIENZ

I.
Totz tos afars es nienz,
Peire Raimonz, e.l sens frairis ;
E non val dos anjevis
Tos sabers mest bonas genz ;
E tenc per desconolscenz
Qi be ni honor ti fai ;
Et sapchas qu’ieu non darai
Per nuil mestier qu’en tu sia,
Mais qar venguist per mi sai.

II.
Seigner, flacs e recrezens
Estatz mest vostres vezis,
E sofranh vos pans e vis
E fail vos aurs et argens ;
E.l meus mestiers es valenz
Si.l vostre dig son savai ;
E s’ieti ja ren de vos hai,
Jamai en home qi sia
A mon jor no faillirai.

III.
Peire, mal m’avondet senz,
Qar de tenzo vos comis ;
Qe.l vostre mestiers es fis
E vos etz bons e plazentz ;
E.l vostre arezamentz
Es grans e.il chantar son gai ;
E negus joglars non vai
Qe plus tard fezes follia
Ni plus tost fezes bon plai.

IV.
Tant es larcx e conoissenz
Qe tot l’aver de Paris
Darias en dos matis ;
E plai vos Jois e Joventz,
Seigner ; e.l vostre ardimentz
Es grantz on faitz maint assai ;
E plus franc de vos non sai,
E s’ieu mal dig vos avia,
Tot sabchon qe mentit n’ai.

V.
Vejas del tafur dolentz
Qe.s cuidet q’eu l’esqarnis
E qe.il lauzes e.l grazis
Sos malvais captenemenz ;
E s’anc li passet las dentz
Bos motz, a negun jor mai
Ja cella que am no.m bai ;
E si.m dis mal per feunia,
Perdon lo, qar s’en estrai.

VI.
Chaitivez’e marrimenz
Es tot l’an en vos assis ;
E qi.l vostre fag resis
Mentau e.ls envelzimentz,
Ben par com es conoiscentz,
Ni qi.us honra qe.l meschai ;
Qe.us onrei tant qe.m desplai,
Et on plus vos honraria,
Adoncs i perdria mai.

Traduction de Joseph Anglade (1916)

I.
Tu n’as aucun talent, Peire Raimon, et ton esprit est vil ;
Ton savoir ne vaut pas deux deniers angevins
Parmi les gens bien élevés ;
Je tiens pour ignorant celui qui te fait du bien
Ou te donne des honneurs ;
Et saches que je ne te donnerai rien,
Quelque besoin que tu en aies,
Mais (je te donnerai) parce que tu es venu ici pour moi.

II.
Seigneur, vous êtes mou et lâche
Au milieu de vos voisins ;
Le pain et le vin vous manquent,
Ainsi que l’or et l’argent ;
Mais moi, mon talent est noble,
Si vos paroles sont méchantes ;
Et si j’ai jamais quelque chose de vous,
Jamais, auprès de quelque homme que ce soit,
Jamais, dis-je, je n’essuierai de refus.

III.
Pierre, mon sens me fut peu utile,
Quand je vous provoquai à une tenson ;
Car votre talent est parfait,
Vous êtes distingué et aimable ;
Votre équipement (?) est grand (votre préparation est grande ?)
Et les chants sont agréables ;
Et il n’y a pas de jongleur qui fit des folies
Aussi tard, ni qui fit plus tôt de bons discours.

IV.
Vous êtes si large et si bon connaisseur
Que tout l’avoir de Paris
Vous donneriez en deux matins ;
Joie et Jeunesse vous plaisent,
Seigneur, et votre hardiesse est grande,
Où vous faites mainte entreprise ;
Je ne connais pas d’homme plus affable que vous,
Et si jamais j’ai dit du mal de vous,
Que tout le monde sache que j’en ai menti.

V.
Voyez le misérable truand qui s’est imaginé
Que je me moquais de lui
Et que je louais et que j’approuvais
Ses mauvaises façons d’agir.
Si jamais un bon propos lui passa par les dents,
Je veux que jamais celle que j’aime ne m’embrasse ;
Et s’il a dit du mal de moi par ressentiment,
Je lui pardonne, car il y renonce.

VI.
Misère et ennui sont logés toute l’année chez vous ;
Et celui qui vante votre conduite sans énergie
Ainsi que votre avilissement,
Celui-là montre bien comment il est connaisseur ;
Et celui qui vous honore n’y gagne rien ;
Pour moi je vous ai tant honoré que je le regrette ;
Et plus je vous honorerais,
Plus j’y perdrais.

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